Sam FRANCIS - Victor VASARELY: Ordre & Désordre

4 Février - 16 Avril 2016

« L’ordre est le plaisir de la raison, mais le désordre est le délice de l’imagination ».

Paul Claudel, Le Soulier de satin

 

Samuel Le Paire Fine Art propose une exposition antagonique en choisissant de réunir dans un même accrochage deux artistes que tout oppose : Victor Vasarely et Sam Francis. « Ordre et désordre » est une formule qui condense bien cette contradiction a priori irrésolvable entre l’orthonormé d’un côté et l’indéterminé de l’autre.

 

Deux conceptions, deux « visions » à l’opposé l’une de l’autre : chacun des deux artistes possède un héritage qui prend sa source dans deux cultures différentes. Vasarely, formé par des émules du Bauhaus, garde une rigueur programmatique jusque dans les déformations ondulatoires de ses systèmes réticulaires. Sam Francis, à l’inverse, pratique la « couleur suggestive ». L’aléatoire est son seul système. Quand Victor Vasarely s’attache à poser sur la toile les lois de la science optique, Sam Francis s’abstrait des règles en lançant des couleurs pures dans un espace infiniment blanc.

 

Vasarely se forme au graphisme publicitaire des années 30 et se nourrit des leçons du Bauhaus par l’intermédiaire de Sandor Bortnyick ; minimalisme et géométrie seront deux des vertus cardinales qu’il choisira pour orienter son travail dans les décennies suivantes. Sam Francis, une génération plus tard, veut lui aussi développer une nouvelle conception de la toile, mais par le geste qui dépasse le cadre, par une écriture automatique d’essence presque chamanique qui indique leur chemin aux macules de couleurs. Formé par Clifford Still, il reste dans le lyrisme de l’abstraction américaine des Pollock, Rothko, Kline et participe pour une grande part à un nouvel expressionnisme.

 

Chacun des deux artistes représente une des deux faces de l’art d’après-guerre ; chacun se tient à une des deux extrémités du grand balancier qui oscille perpétuellement entre l’apollonien et le dionysiaque, entre le chtonien et l’aérien, entre le système et le hasard. Vasarely suit une route qui le guide immanquablement vers l’art et la science. Pour Sam Francis, son entrée en peinture s’est faite comme une révélation ; la maladie a été son chemin de Damas et il reste dans tout son œuvre un caractère mystique. « L’artiste est l’œil de Dieu, il illumine l’inconscient » : cette locution de Sam Francis lui-même résume à elle seule la voie qu’il s’est tracé.

 

L’art de Vasarely est un art combinatoire, un assemblage d’éléments codifiés et programmés qui créent l’ordre d’un monde achevé. Le créateur est ici-bas et s’incarne dans la volonté humaine. Les floculations colorées de Sam Francis, en revanche, ne répondent à aucun système ; elles s’agrègent les unes aux autres selon l’idée d’un monde instable, continuellement travaillé par des forces centrifuges qui tendent vers l’espace immensurable. C’est le désordre des particules de lumière, la force imprévisible d’un cosmos au-delà qui projette les couleurs au hasard de la toile.

 

Samuel Le Paire Fine Art propose la complémentarité des contraires pour montrer comment ces deux univers intégraux peuvent constituer une totalité ; deux univers qui, rassemblés, forment une unité absolue entre la proportion de la norme et son corollaire, la démesure du désordre.

 

Mathias CHIVOT, historien de l’art