Avec une selection des oeuvres de :
« Le silence est une tranquillité mais jamais un vide ; il est clarté mais jamais absence de couleur ; il est rythme ; il est le fondement de toute pensée ».
Yéhudi Menuhin
Ma Galerie présente Still Lifes (De silencieuses natures), une exposition qui réunit quatre artistes : Pauline Bazignan, Jean Dubuffet, Giuseppe Penone et Luzia Simons qui a aussi investi à Paris la cour d’honneur des Archives Nationales avec de grands tirages photographiques. Ma Galerie propose un dialogue entre ces artistes autour de la nature silencieuse – still life en anglais - qui n’a de morte que le nom qu’elle porte en français.
L’exposition contourne cette formulation française à la rigidité un peu funèbre pour montrer au contraire, en gardant l’expression anglaise et sa traduction littérale en français, la vie qu’il reste après tout. Vie calcinée des fruits chez Pauline Bazignan ou vie fraîchement coupée des fleurs des dispositifs de Luzia Simons ; vie invasive des entrelacs végétaux de Giuseppe Penone ; enfin, vie malgré tout de la terre modelée comme un Saint Suaire ou du matériau comme cellule organique de Jean Dubuffet.
Le dialogue entre les quatre artistes est présenté comme une conversation silencieuse, une palasacra aux échos ténus et dédoublés. Car si l’expression still lifes possède un double trompeur en sa traduction française, l’exposition fait aussi jouer une double vision, un sens caché qui diffère du sens visible. Les peintures de Pauline Bazignan suscitent, comme une rémanence optique, les efflorescences hallucinées d’un Redon au travail pour les Panneaux Domecy. C’est pourtant à la force vitale et concentrée d’une entité défaite de ses atours symboliques que l’artiste veut consacrer la surface entière de son œuvre. Dans Intérieur, le principe de la cuisson a créé une vie muette, statufiée et éternellement là, comme la trace fossile d’un processus vital. La combustion a suspendu le destin putrescible du fruit ; la pourriture à laquelle chaque organisme vivant est promis a été stoppée par le feu pour ne plus laisser que les contours pulpeux d’une vie antérieure.
Les panoramas de tulipes fraîchement coupées de Luzia Simons sont moins l’évocation d’un sens allégorique des fleurs que la métaphore faussement suave et franchement brutale d’une logique accumulative et spéculative que le capitalisme hollandais du 17e siècle a développé autour de la culture de la Liliacée. Dans la vidéo Blacklist, le faisceau d’un scanner passe au crible une brassée de fleurs et l’anime d’une vie ondulante. Il la fait doucement vibrer à travers les cheminements de son rai lumineux et finit par se retirer lentement pour rendre le bouquet à son obscurité originelle.
Au premier regard, la sculpture de Giuseppe Penone semble devoir se ranger parmi les types d’objets anatomiques dont l’esthétique sensuelle et cruelle le rapprocherait d’un écorché de Gautier-Dagoty. Cependant, rien ne procède dans cette terre cuite d’une coupe issue des études de cadavres ; c’est au contraire la vie invisible que Penone a voulu rendre palpable. On pourrait voir, à y regarder de plus près, un souffle imaginaire passant dans les bronches et la trachée de terre cuite jusqu’à faire se mouvoir l’empreinte de la mâchoire mobile, comme mue par une grande bouffée d’air expiré.
L'œuvre de Jean Dubuffet reste à la confluence de deux états, entre la matière remodelée, reconstruite, repensée et la résurgence organique de cellules primaires immortelles. La quête de sens chez l’artiste, peu loquace, peu dite mais compacte, dense, élabore des corps agglomérés, sédimentés, imbriqués et montre les traces d’une observation lente et silencieuse des choses alentours. La Palmeraie aux trois oiseaux exprime subtilement la vitalité d’une sève d’oasis.
Dans cette exposition, chacun des artistes formule une approche différente des traces que laisse la vie quand elle circule, quand elle se fige ou quand elle s’éclipse. C'est une conversation silencieuse.
Mathias CHIVOT, historien de l’art