Avec une selection des oeuvres de :
Samuel Le Paire Fine Art présente “Between the LInes”, une exposition qui propose un ensemble d’artistes internationaux issus de différents points du développement de l’art contemporain ; ils articulent une réflexion sur les modalités de transition entre les lignes sémantiques et physiques, ou littéralement l’espace intermédiaire de l’art entre la conscience et la forme. Pensant à partir d’un point de vue du soi fragmenté, un produit dérivé de l’abstraction croissante du capitalisme tardif, les images figuratives ne sont pas assez stables pour fournir un fondement adéquat permettant la production de subjectivités sociales. Des grammaires nouvelles surgissent des recherches d’artistes sur la façon dont les structures du temps deviennent incarnations en images après la fin de coïncidence entre pensée et représentation.
La ligne, l’unité la plus élémentaire de durée et de continuité, devient aussi pour nous un champ de contiguïté et de parallélisme. Depuis les traces rouges et noirs de l'écriture de Sol LeWitt sur une carte postale de Botticelli (1980), on commence à distinguer des lignes fuyantes, cassées et superposées, comprenant des ordres sémantiques différents qui ne se chevauchent en aucune façon : la forme et la signification sont tous les deux indépendants et conditionnés. L’histoire de la ligne, un topique du XXe siècle, s’est initiée avec un processus de décentralisation interne qui avait commencé avec les peintres abstraits et a flouté les possibilités de ce que l’on peut appeler à la fois mémoire et conscience dans l’image. Mais côté récepteur, pour nous, la ligne a été libérée de l’incarnation et elle est devenue une force autonome.
Dans une sculpture récente de Strauss Bourque-Lafrance, nous pouvons observer comment le champ entre les unités de base et le contenu formel a été égalisé et a acquis une homogénéité singulière ; les artistes commencent à opérer dans une réalité asymétrique qui n’admet aucune corrélation entre objet et idée. Des artistes tels Georgia Russell et Jérémie Gindre, nous invitent à regarder le réel comme un objet défiguré. Cela requiert un regard inverse, ou au moins un repositionnement du plan cartésien vers un nouvel ensemble de complexités contigües qui ne peuvent pas être prises en compte sans l’adoption de points de vue différents simultanés. On observe entre les lignes, et pas sans risque, et jamais sans tension : marcher sur la pointe des pieds le long d’une ligne de faille implique de redessiner une voie, ou de l’imaginer novatrice.
L’œuvre emblématique de Daniel Buren de la fin des années 1970 représente une génération entière d’artistes concernés par le dualisme entre ligne et objet. Sa simplicité trompeuse nous frappe aujourd’hui ; elle regarde déjà vers le champ des couleurs. L’acrylique sur toile de Valerio Adami, de la même génération, avec ses allusions musicales, donne vie à la conversation des sens ; l’architecture de la réalité est réimaginée en fragments qui à leur tour révèlent des présences autonomes et des êtres réels. Un artiste brésilien, Kleber Matheus, synchronise l’énergie de la ligne vers une forme chaotique qui ne croît dans aucune direction spécifique. Les artistes de l’exposition travaillent à travers des média et des époques différentes, recomposant le conscient de l’art dans un espace plus complexe où les relations entre les objets sont des sites réels, à la fois de continuité et de conflit.
Entre eux se trouve un espace d’ambiguïté, sans forme assez solide pour contenir les structures mouvantes dans lesquelles nous vivons aujourd’hui : disparition et effacement sont aussi des processus techniques et des formes de dessin, comme dans l’œuvre de Dan Rees et GuiloPaolini. A l’intérieur de l’espace de juxtaposition qui se trouve entre la concrétude des lignes traditionnelles et la distance sémantique entre ces deux sujets, nous tentons scrupuleusement de donner sens à un monde qui est maintenant étrange. Etrange sans doute, mais il est aussi libérateur. Nous avons maintenant le pouvoir de nommer des choses - tel les Dieux – de les faire exister, de les faire surgir.
Etre entre nous situe dans le temps, nous guide dans notre terreur profonde, et crée l’existence à partir du néant. Crée, mais aussi détruit, abstrait, répète et imagine encore.
Arie Amaya-Akkermans, Critique d’art