Avec une selection des oeuvres de :
« Cela ne dura qu’un bref instant pendant lequel tout paru suspendu, un de ces replis du temps qui s’ouvre ou se referme sur une vie totalement différente ».
Thomas H. Cook, Les Leçons du mal
L’œuvre d’art est comme le roman, elle joue avec le temps. Elle en recompose les durées, en étire la narration comme elle l’entend, et bien sûr, le suspend quand elle veut pour le porter à ce point d’orgue, à cet instant suspendu que les Grecs avaient désigné comme l’aiôn.
Le déroulement du temps se fige dans un présent insulaire, idéal. L’aîon, extirpé du séquentiel, apparaît comme un morceau d’instant pur. C’est celui qui retient en l’air le pinceau de Velázquez et rend éternel son moment de familiarité au milieu de la famille royale ; c’est aussi celui qui paralyse, dans une fraction infinie de secondes, les moaï de ( ? - œuvre dédicacée à Yves Tanguy). La photographie de Nan Goldin gèle aussi la durée et saisit, le temps de la captation de l’image, le visage du modèle pour le restituer ensuite au temps long de la contemplation, fixé et suspendu dans une expression immuable, étanche à l’altération organique, soustrait au glissement de la durée. Cet instant suspendu qui arrête la voiture d’Arman en plein basculement, bref et interminable à la fois ; qui piège le végétal en pleine efflorescence (Warhol et Hyber) ; qui interrompt le coup du boxeur et sursoit à son effet dans l’espace et le temps.
L’aîon se conjugue alors au kairos, ce moment opportun où tout peut basculer par le fait même de la suspension du chronos, de la durée. Fugacité, multiplication des possibles vers un basculement imprévisible, contre toute logique et en dépit du prévisible, c’est le principe de l’ensemble des œuvres présentées au sein de l’exposition Cet instant suspendu, qui montre qu’enrayer la mécanique du temps, effacer la durée, est au cœur même de toute création.
Mathias CHIVOT, historien de l'art
