Prime étincelle: Exposition collective

20 Avril - 13 Juillet 2023

Avec une sélection d'oeuvres de : 

Martin BARRÉ Jean-Charles BLAIS / CORNEILLE / Olivier DEBRÉ Bernard FRIZE / Hans HARTUNG / Toshimitsu IMAÏ / Mimmo ROTELLA /  Chiharu SHIOTA / TAKIS / Chu TEH-CHUN / Zao WOU-KI

 

Au sujet de la peinture de Zao Wou-Ki, René Char écrit en 1975 dans son texte Le dos houleux du miroir : « la couleur s’y trouve en éclaireuse échiquetée et presque en semi-nomade ». Il saisit ainsi la fulgurance avec laquelle, mouvante, en avant d’elle-même et de la composition, elle s’échappe de toute soumission à la figuration, jaillit, s’étoile ou se parcellise en un tumulte lumineux pourtant toujours structuré.

On serait tenté de jouer avec les mots et de convoquer, au-delà de l’imaginaire de l’échiquier, et de la construction par blocs colorés auquel l’adjectif choisi par le poète renvoie, celui de la lacération, du « déchiqueté » pour dire l’acuité, le tranchant, la précision du geste pictural (et calligraphique) à travers lequel les lignes se déploient et s’organisent à la surface des œuvres de Zao Wou-Ki, et plus généralement, des artistes réunis ici. Ils semblent pris dans une forme d’urgence, de nécessité de prendre de vitesse la forme à laquelle leur tracé donne vie. Pour Hartung c’est d’éclair qu’il s’agit puisque, déjà dans un de ses cahiers d’écolier, il tentait de les « attrap[er] au vol […] dès qu’ils apparaissaient » pour « tracer leur zizag sur la page avant que n’éclate le tonnerre » (Autoportrait, 1976).

Les travaux présentés dans cette exposition sont tous parcourus par ce sens de la vitesse, par la spontanéité viscérale, parfois anonyme (Bernard Frize, Mimmo Rotella notamment) et pourtant absolument singulière, d’un trait ou coup de pinceau (ou déchirure) qui vient zébrer, inciser ou encore pulvériser, donc repenser, l’espace. Espace du tableau comme celui du mur qui l’entoure. Car ce qui s’affirme c’est aussi l’habileté à s’affranchir du cadre, à traduire avec volupté – dans la vigueur des éclaboussures de Toshimitsu Imai mais aussi dans le systématisme minimaliste de Bernard Frize ou la retenue de dessins à l’encre de Jean-Charles Blais – l’élan et la plénitude de la matière emportée par le geste créatif.

Une flèche-fissure, creuse, implacable, l’étendue monochrome chez Martin Barré tandis que les effusions chromatiques d’un Chu Teh-Chun nient la planéité de son support. A Oliver Debré, il suffit d’un rectangle de 14 cm sur 22 pour créer un petit monde, autosuffisant et sans références mimétiques, qui s’épanche dans des éclats précieux de vert, rouge, bleu et brun. L’œil s’installe dans ses nuances colorées, invité à s’y perdre avec autant de force que par des peintures aux dimensions monumentales qu’appelle parfois l’abstraction. Miracle d’un souffle lyrique qui s’incarne dans des formats modestes comme dans l’énergie délicate d’Hans Hartung, ou dans la tension, discrète mais bien réelle, des fils rouges dont Chiharu Shiota surpique ses dessins, sutures qui blessent moins qu’elles n’architecturent et animent la surface blanche du papier.

Miracle ? N’est-ce pas le mot qu’emploie François Cheng, grand ami de Zao Wou-Ki, « lorsque par-dessus l’abîme qui sépare/Resplendit l’étoile de la prime étincelle » (Le livre du vide médian, 2004). Scintillement qui illumine justement l’abîme, la nuit dont surgit, dans Notagamiras de Corneille, un réseau de filaments et de pierreries rose et bleu diffractés  – presque un bijou ! A moins qu’un visage tribal ne se devine dans l’éclatement organique des formes à l’œuvre sur la toile ? Au bord de la figuration, cette apparition perpétue, dans la vibration des couleurs servie par la sûreté brute des coups de pinceaux et incisions, l’incandescence d’une composition dont le rayonnement décoratif n’émousse pas la plasticité abstraite. 

Alix Agret

Historienne de l'art