On the Workings of the Mind: Exposition collective

12 Mai - 30 Juillet 2022
Avec une selection d'oeuvres de :
Pierre ALECHINSKY / Vincent BEAURIN / Daniel BUREN / Jean DEGOTTEX / René DUVILLIER / Maurice ESTEVE / EXA / Jan FABRE / Bernard FRIZE / HESSIE / Susan HILLER / Yves KLEIN / Bertrand LAVIER / Jean MESSAGIER / Henri MICHAUX / Vera MOLNAR / Giuseppe PENONE / Robert RAUSCHENBERG/ Edda RENOUF / TAKIS / Joaquín TORRES GARCIA / Cy TWOMBLY / Bernar VENET
 
 

« Of the Workings of the Mind ». Une réflexion philosophique qui se traduit par « Des Opérations de l'esprit ». La traduction confirme les défauts de la parole : elle se révèle efficace pour communiquer une réalité concrète et tangible, mais s'avère insuffisante surtout quand il s'agit des notions plus abstraites. La figuration se heurte souvent aux mêmes problèmes. En revanche, le langage de l'esprit ne connaît pas de frontières, n'ayant pour limite que l'imagination. Il fait abstraction des apparences à la recherche d'une meilleure compréhension du réel et de « l'espace du dedans », pour reprendre une expression de Henri Michaux. Or, le désir de s'échapper du cadre de contraignants descripteurs se manifeste d'ailleurs dans une approche plus ou moins allusive, presque apophatique, conformément à la théorie de Mallarmé, selon lequel il faut « peindre, non la chose, mais l'effet qu'elle produit ». S'éloignant donc de l'objectivité, l'abstraction permet de mieux préciser l'intangible en soi, un sentiment partagé par Georgia O'Keeffe. Transmuter le lisible en illisible, rejeter les carcans de la forme et de la ligne : tel est l'usage de l'artiste se déployant dans l'abstraction. Dans ce domaine, la matière sert de lentille à travers laquelle on parvient à profondément contempler une image soumise par l'artiste dont le sujet se dilate, se déchire, puis se reconstitue sous une forme plus ou moins hétérogène.

 

Prenant à bras-le-corps une rupture avec la réalité, certains artistes contemporains traitent directement du décalage entre la vérité et l'apparence superficielle. De telles recherches permettent aux artistes de s'interroger sur la nature d'un objet : à quel point devient-il un objet de l'art ? Se distancier des images dont le but exprès est de satisfaire esthétiquement, c'est remettre en question les conventions artistiques. Des artistes abstraits y mettent en œuvre des techniques diverses, remodelant ou dissimulant la réalité extérieure de manière provocante. Ils font ainsi travailler leurs créations sur le plan psychologique afin de susciter une réflexion plus profonde que superficielle. De telles œuvres fournissent un miroir de l'âme et une fenêtre sur l'esprit au propre comme au figuré. En parlant de ce qui est invisible à l'œil nu, d'autres plasticiens se trouvent fascinés par les forces qui nous entourent toujours, mais passent souvent inaperçues, notamment des énergies physiques. Ils cherchent à révéler ces moteurs omniprésents - le magnétisme, par exemple - à travers leurs œuvres qui interagissent avec l'espace d'exposition de façon cinétique. De telles créations, dont le sujet est quelque chose de quotidien ou de fonctionnel, font donc avancer la cause d'accessibilité universelle, car leur quintessence est à la portée de tout le monde. Même le déplacement des spectateurs y joue un rôle primordial, et entame un dialogue entre l'art et ses consommateurs.

 

À côté de cette forme de créativité abstraite tournée vers l'extérieur se trouve une abstraction plus intime, voire cathartique, à la fois libératrice pour le spectateur et l'artiste. Une réflexion profondissime sur l'identité en résulte souvent par de nombreuses stratégies graphiques. L'idée et même la pratique d'écriture illisible, dite « asémique », aussi contradictoire qu'elle puisse paraître, facilite une telle recherche introspective, une sorte d'écriture de soi qui relève d'un entre-deux, entre autobiographie et autoportrait. S'inspirant en partie de l'écriture automatique des surréalistes, cette démarche très personnelle permet de dépeindre l'homme en toute franchise, d'accéder au tréfonds de l'esprit. Le texte lisible en tant qu'illustration, en revanche, conteste la distinction faite entre le graffiti, l'écriture et l'art plastique. Une synthèse de ces deux méthodes, le dessin composé de symboles possède une grande signification sémiotique. À la fois compréhensible et ambiguë, ce genre d'art abstrait évoque les hiéroglyphes égyptiens d'antan tout en enfreignant des principes passéistes de composition. Commun à toute forme d'expression calligraphique est un aspect commémoratif, selon lequel se cristallise un moment dans le temps, préservé à jamais comme un insecte dans son ambre.

 

Au-delà de ces abstractions, il subsiste un art contemporain presque sans idéologie dont l'inspiration principale est la nature. Il s'agit plutôt de réduire le processus de création à l'essentiel sans perdre de vue l'attrait visuel. C'est grâce à cet esthétisme qu'on réussit à démontrer qu'une œuvre d'art n'a pas forcément besoin d'une justification théorique sous-jacente de son existence ; il suffit juste de faire accorder le spectateur, l'œuvre et son sujet. D'une certaine façon, isoler l'essence d'un objet ou d'un style tout en rejetant un fondement philosophique s'avère un processus de simplification. Cependant, c'est plus vite dit que fait : la nature est infiniment complexe, donc la simplifier veut dire s'éloigner le plus possible de l'apparente réalité. En s'inspirant des bienfaits de la nature sans les imiter, l'artiste confère à ses œuvres une profonde résonance tellurique qui témoigne d'une humanité universelle.

 

D'autre part, la guerre se fait sur le champ de bataille stylistique, où des minimalistes et des nuagistes sont à pinceaux tirés. Ces démarches quasiment opposées essaient toutes les deux d'explorer l'esprit et les idées qui le traversent. Le minimalisme sert à maintes reprises de plate-forme à une cause politique ou sociale, qu'elle soit féministe ou liée à l'accessibilité des arts. Étroitement associée à ce mouvement, la pratique réductive de ceux qui se limitent à une seule couleur, en créant une œuvre monochrome qui porte sur l'infini et l'immatériel, comprend souvent une signification iconographique sous-jacente. Le nuagisme, au contraire, répond au géométrisme étouffant par ses paysages abstraits constitués de nuages lyriques, comme son nom l'indique. Les couleurs en sont parfois intenses afin de créer un tableau exubérant et animé qui semble dissimuler un secret sous ses couches floues et semi-transparentes. Ô noble esprit ! Son paysage est vaste et embrumé. Le dépeindre dans sa totalité serait une lourde tâche pour tout artiste abstrait, mais chaque coup de pinceau ou de ciseau représente un pas de plus vers cet objectif.

Panayotis GALATIS